Non à la solution proposée pour la plage publique de North Hatley

(English follows)

Il y a beaucoup – au moins six – raisons d’être insatisfaits de l’accès par carte électronique proposé par le maire et les membres du conseil municipal de North Hatley, et par l’administration municipale, comme solution à la question de l’accès à la plage publique. Toutes ces raisons me semblent importantes, mais certaines toucheront plus certains lecteurs.

1. La solution proposée est inutile: si les membres du conseil, le maire et le directeur-général du village prenaient le temps de lire, ou de relire, la décision de la Cour d’appel du Québec dans Joly c. Salaberry-de-Valleyfield, ils comprendraient que garder ouvertes les portes donnant accès à la plage est la meilleure politique qu’ils pourraient adopter. Le paragraphe 40 de la décision se lit comme suit: « […] si faute de la Ville il y a, en ce qu’elle a négligé de faire appliquer le règlement par lequel elle interdit la baignade et a par ailleurs toléré, en toute connaissance de cause, la violation de ce règlement sans prendre les précautions qui auraient assuré la sécurité des personnes qu’elle laissait ainsi contrevenir au règlement, cette faute n’est pas la cause du préjudice subi par l’appelant, dont la témérité constitue un évènement nouveau qui est seul à l’origine de l’ensemble du dommage qu’il a subi. » [Je souligne] D’après cette décision, il semble clair que les personnes qui décident de se baigner, de plonger, etc. à la plage publique en dehors des heures de surveillance doivent assumer la responsabilité de leurs actions, et enlèvent à la municipalité toute responsabilité – si, et seulement si, les portes de la plage restent déverrouillées (voir les points 2 et 5, ci-après).

2. Il y a eu trois avis juridiques différents sur la question des portes, et deux des trois ont conclu non seulement que les portes devaient rester ouvertes, mais que leur fermeture augmenterait la responsabilité de la municipalité. Il est à noter que l’avis obtenu en 2016 par la Société récréative de North Hatley (SRNH) a été rédigé par une spécialiste dans le domaine de la responsabilité civile (ce n’est pas le cas des autres opinions). L’avis fait référence tant à la doctrine établie qu’à la jurisprudence pour faire valoir que les portes n’ont pas besoin d’être fermées et verrouillées – que les portes devraient, en fait, rester ouvertes.

3. Le système d’accès proposé par carte électronique constitue une atteinte aux droits personnels de ceux qui sont obligés de l’utiliser, puisque la municipalité sera en mesure de surveiller les allées et venues des usagers. Comme le maire l’a déclaré publiquement, « (…) si un incident devait survenir lorsque la plage était fermée, la municipalité serait en mesure d’accéder aux données pour voir qui avait ouvert la porte. » (Sherbrooke Record, 26 juillet 2018, page 4) Avoir ouvert la porte, constituerait, semblerait-il, un ‘délit’, et transfèrerait la responsabilité de la municipalité au citoyen concerné. Mais tout simplement la capacité et la volonté de la municipalité de surveiller les usagers de la plage devraient être une source de préoccupation pour nous tous (comme le sont les caméras de surveillance déjà installées à la plage); cela semblerait aller à l’encontre du droit fondamental du respect de la vie privée énoncé à l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

4. Le coût aux contribuables de la municipalité du système proposé sera de plusieurs milliers de dollars – pour l’installation seule, et sans inclure les coûts liés aux réparations inévitables, ou à la décision de maintenir l’accessibilité à la plage pendant les mois d’hiver (Sherbrooke Record: “Page a déclaré que les détenteurs d’une carte d’accès pourront maintenant accéder à la propriété toute l’année.”) À ces coûts s’ajouteraient ceux liés à la consultation d’avocats pour la rédaction de l’exonération de responsabilité, les coûts de traduction, et probablement des coûts supplémentaires (tels des poursuites éventuelles contre la municipalité: en rapport avec la Charte des droits et libertés de la personne; ou, pour avoir amené les baigneurs à nager à partir d’autres propriétés – municipales ou autres, dans des conditions souvent plus dangereuses; etc.). Tous ces différents coûts devraient s’ajouter à celui – non encore révélé – d’exploiter la plage à la place de la SRNH. Le secrétaire-trésorier de la municipalité devrait fournir un compte rendu complet de ces coûts lors de la séance du conseil municipal du 6 août, avant d’engager des dépenses supplémentaires. Après tout, la municipalité reprochait à la SRNH de ne pas avoir fourni un compte rendu complet des revenus et des dépenses liés à l’administration de la plage; nous sommes en droit d’en exiger autant de la municipalité elle-même.

5. Une exonération de la responsabilité, même signée, ne dégage pas la municipalité de sa responsabilité en cas de faute lourde de sa part. On peut imaginer le scénario suivant, qui n’est pas tiré par les cheveux.

Au cours de la première semaine d’octobre 2018, un jour où la température dépasse les 20 degrés, un homme (muni d’une carte d’accès) décide de se baigner à la plage publique. Il est seul – les enfants sont à l’école, et les adultes sont au travail; il n’y a personne d’autre à la plage. Il décide de plonger à partir du quai de ciment. Malheureusement, il glisse et se frappe la tête en entrant dans l’eau. Je suis en train de faire une marche sur Chemin du lac et suis témoin de la scène. Ma première réaction est d’aller à la rescousse du plongeur. Mais la porte est verrouillée, et je n’ai pas de carte. À partir du moment que les pompiers sont alertés et arrivent, au moins vingt minutes s’écoulent, et il est trop tard pour lui sauver la vie. Un scénario vraiment horrible, mais malheureusement pas impossible. 

La municipalité pourrait-elle être tenue responsable dans un tel cas? Les conseillers qui ont voté pour l’installation du système d’accès par carte électronique seraient-ils responsables du préjudice causé? La responsabilité serait probablement partagée, d’après Joly, avec la personne qui plonge du quai. Mais la municipalité et ses conseillers pourraient très bien avoir une part de responsabilité, puisque par leurs actions – leurs actions inutiles – ils ont rendu le sauvetage immédiat impossible. La responsabilité de la municipalité et des conseillers n’aurait pas été engagée si les portes avaient simplement été laissées ouvertes – ou, du moins, c’est ce que nous ont dit deux avis juridiques, de même que la Cour d’appel du Québec.

6. La solution que le maire qualifie de ‘gagnante’ pour tout le monde est extrêmement lourde, et résout un ‘problème’ qui ne devrait même pas exister. Selon toutes les explications crédibles, et malgré ce que prétend l’avis juridique obtenu par la municipalité, la clôture à la plage publique n’a pas été érigée pour empêcher les gens de se baigner. Puisque empêcher les personnes d’entrer dans l’eau n’a jamais été la fonction prévue de la clôture, on pourrait maintenant l’enlever sans augmenter la responsabilité de la municipalité. Le droit québécois et les assureurs de la municipalité déclarent qu’aucune clôture n’est requise à une plage publique. 

Une seule de ces raisons aurait dû suffire à amener les membres du conseil et l’administration de la municipalité à écouter les cinq cent personnes qui ont signé les pétitions et la centaine de personnes, ou plus, qui ont assisté aux réunions relatives à notre plage publique. Raison de plus pour que six raisons les convainquent. Malheureusement, selon ce que le maire a dit aux usagers de la plage, la ‘solution’ de la ville est à prendre ou à laisser : soit les usagers acceptent le système de carte électronique, soit ils n’auront pas accès à la plage en dehors des heures de natation supervisée. Encore une fois, les conseillers, le maire et l’administration de la municipalité veulent imposer leur volonté sans aucune consultation formelle de la population! 

Paul St-Pierre

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