Lettre de Prof. René Doucet aux ministres Heurtel et Coiteux

Le  Village de North Hatley et le Plan de gestion de la MRC Memphrémagog.

Messieurs les ministres,

Je suis résident de North Hatley depuis 2001. J’ai choisi ce village pour ma retraite après 32 ans d’enseignement à l’Ecole HEC Montréal et 10 années de pratique du Droit du travail et Relations industrielles au Québec et en Ontario.

Le Village de North Hatley est apprécié pour  l’harmonie de son aménagement en bordure du magnifique Lac Massawippi et ses paysages spectaculaires tributaires des montagnes environnantes. Il a été désigné comme l’un des plus beaux villages du Québec. Ce village est également attachant en raison de la bienveillance de sa population et la tranquillité de son rythme de vie.

De plus, la gastronomie renommée de ses hôtels, notamment le Manoir Hovey, de ses auberges et restaurants font de ce village une destination recherchée par les touristes. C’est pourquoi, j’y ai fondé avec mon épouse un modeste gîte qui reçoit chaque année une centaine de couples provenant tant de l’Amérique que de l’Europe. Tous confirment mon appréciation de ce village et plusieurs d’entre eux reviennent nous voir d’année en année.

Vous avez reçu dernièrement de la MRC Memphrémagog un Plan de gestion ayant pour but d’autoriser la réalisation d’un projet collossal dans un territoire restreint en plein centre du Village de North Hatley, le long de la rivière Massawippi. La rivière Massawippi, malgré son étroitesse, est la seule décharge du Lac Massawippi, l’un des lacs les plus profonds du Québec.

 

Fait à noter, le territoire choisi par le promoteur de ce projet visé par le Plan de gestion est situé en grande partie en zone inondable. Une portion importante de cette zone inondable en une de grand courant (Voir Figure 2, page 8 du Plan de gestion).

De 1984 à 2015, cette zone fut touchée par treize (13) épisodes d’inondations, dont plusieurs furent de longue durée  (Voir tableau 1, page 9 du Plan de gestion).

Et selon Ouranos, organisme de recherche retenu par le gouvernement du Québec, les précipitations dans le sud du Québec devraient augmenter l’hiver de 20 % d’ici 2055. Il est donc à prévoir que les inondations dans la zone visée par le projet et le Plan de gestion seront plus nombreuses et plus fortes dans l’avenir.

Le projet de développement présenté par le promoteur  immobilier au conseil de la municipalité du Village de North Hatley en 2013  empiète de façon importante dans la zone inondable de grand courant (Voir tableau 4 et Figure 12 aux pages 26 et 27 du Plan de gestion).

À moins que les ouvrages prévus dans ce projet ne soient admissibles à une dérogation au sens de l’article 4.2.2 de la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables, ces ouvrages devraient être interdits en vertu de l’article 4.2 de la Politique.

Le plan de gestion, pour rendre acceptable la demande de dérogation doit rencontrer les cinq critères édictés à l’annexe 2 de la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables.

Voici mes remarques quant aux critères d’évaluation de la demande :

1-La sécurité des personnes et la protection des biens et l’écoulement naturel des eaux.

La demande de dérogation vise la construction d’un ensemble d’habitations multifamiliales, mixtes ou commerciales de dimension importante. Deux de ces habitations prévues dans les secteurs R1 et M1 pourront avoir 4 étages de hauteur et pourront contenir de 50 à 90 unités chacune. La troisième dans le secteur M2  pourra avoir 5 étages et contenir de 50 à 90 unités. Dans le secteur  C1, une nouvelle construction commerciale de 3 étages pourra également être construite. (Voir Plan pages 22 et 23).  Les stationnements souterrains seront autorisés. L’occupation au sol  pourra atteindre 50 % de chacun des trois secteurs, dont une portion importante dans la zone de fort courant (Voir tableaux 3 et 4 aux pages 25 et 26 du Plan de gestion.)

Avec une possibilité de plus de 200 unités de logements et commerces, ce projet ressemble plus à un développement urbain que villageois. S’il se réalise, il créera un centre urbain dans un petit village. Avec les conséquences que l’on peut prévoir sur la circulation dans le centre du village et la nécessité de nouveaux services municipaux.

Les conséquences les plus dramatiques seront celles subis par le voisinage immédiat. Non seulement durant la construction qui prendra surement plusieurs mois, mais également une fois terminée la construction lors des prochaines inondations. Car les édifices aux dimensions importantes, avec garages immunisés, formeront  des obstacles  majeurs à l’écoulement naturel des eaux.

L’empiètement de ces édifices dans les zones inondables sera majeur : équivalant à 56 % de remblais dans la zone de grand courant et 48 % dans la zone de faible courant (page 28 du Plan de gestion).

Il est donc raisonnable de concevoir  que l’eau refoulée de part et d’autre par les murs des nombreux bâtiments se dirigera vers les terres basses du voisinage immédiat. Et que la superficie d’implantation au sol des nouveaux bâtiments diminuera la capacité d’absorption du terrain. Ce qui pourrait avoir des conséquences sur la durée des inondations.

Le Village de North Hatley a fait un effort louable en acceptant en 2016 la proposition de son ingénieur-conseil Olivier St-Amour de majorer les débits de 20% en rapport avec ceux énoncés dans l’étude de 2013 pour les inondations en récurrence de 2 ans, de 20 ans et de 100 ans (voir étude EXP 2016-02-15 page 3). En conséquence de cette modification, une majoration de 32 cm sera appliquée à la cote 100 ans pour les immunisations des nouveaux bâtiments et agrandissements situés dans la zone inondable.

Mais cela sera-t-il suffisant pour protéger la sécurité des personnes et des biens?

Qu’arrivera-t-il du voisinage immédiat? Une bonne douzaine de résidences privées et des commerces sont établis depuis longtemps sur les terrains avoisinants. Subiront-ils les conséquences négatives des blocages de l’écoulement naturel des eaux?

S’ils doivent faire des travaux d’immunisation ou autres, qui les indemnisera?

Qu’arrivera-t-il aux résidents et commerçants des quelque 210 unités nouvellement bâties lors d’inondations majeures? Pourront-ils évacuer leur logement et sauver leurs biens à temps?

La lecture des modalités et engagements de la municipalité relatifs au plan de gestion, aux pages 29 à 33 du Plan, nous en apprend beaucoup sur les risques majeurs et  les questionnements que comporte le plan de gestion. À titre d’exemple,  la nécessité de mesures d’urgence exceptionnelles, les nuisances résultant des activités de construction,  la capacité de pompage des eaux sanitaires, les mesures d’immunisation pour les bâtiments existants, la limitation des îlots de chaleur, la gestion des eaux pluviales, la gestion des eaux de pompage, les mesures de sécurité en lien avec les stationnements souterrains, etc. (Voir pages 29-33 du Plan).

Nota bene: Quant à la sécurité dans les stationnements souterrains et les accès aux différents logements et commerces, le soussigné aimerait bien en savoir plus sur la boule de cristal qui permettra à un ingénieur de statuer qu’en cas de crue majeure (récurrence de 250 ans) la hauteur d’eau dans les stationnements et les accès pour piétons restera inférieure à 25 cm pendant au moins une heure, et ce même en cas de panne des systèmes de pompage.

2-Les  questions économiques et l’opportunité du projet visé par le Plan de gestion

La municipalité fonde sa décision de supporter le projet visé par le Plan de gestion sur des considérations sociologiques et économiques : diminution et vieillissement de la population, diminution de la richesse foncière et des revenus fiscaux, augmentation des taxes foncières et de l’endettement de la municipalité, potentiel limité pour l’avenir.

Le soussigné ne contredit pas les constats décrits aux pages 5 et 6 du Plan de gestion. Il énonce toutefois qu’il peut exister des alternatives raisonnables au projet risqué tel qu’encadré par le Plan de gestion. A savoir :

  1. Lorsqu’en 2013, le conseil municipal a donné son accord de principe au projet, les membres du conseil ne savaient probablement  pas que les modalités de ce projet comporteraient de tels risques pour la sécurité des personnes et des biens, ainsi que pour l’écoulement naturel des eaux en cas d’inondation majeure. Le Plan de gestion de la MRC tel que présenté nous permet de prendre conscience de la gravité des risques associés à la réalisation du projet sous étude. Ce qui à mon avis crée pour le conseil un dilemme majeur. L’une des solutions à un tel dilemme peut consister en l’obtention de la part du promoteur les modifications nécessaires pour assurer pleinement la sécurité des personnes et des biens ainsi que l’écoulement naturel des eaux en cas d’inondation. Ou encore une modification conséquente du Plan de gestion.
  2. Le Plan de gestion mentionne en page 5 l’absence de terrains vacants dans le territoire de North Hatley pour réaliser un projet de développement d’importance. Le soussigné doute fortement de cette assertion. À titre d’exemple, lorsqu’en 2006 l’Auberge Hatley  (une institution de la gastronomie au Québec) a été détruite par le feu, les propriétaires ont décidé de ne pas reconstruire et de mettre les terrains en vente. Le site de ces terrains constituait une formidable opportunité de développement pour l’avenir. Malheureusement, les promoteurs immobiliers l’ont laissé passer. D’autres endroits sont également disponibles dans le territoire de la municipalité. Qui cherche trouve.
  3. Les conditions économiques de la municipalité sont difficiles, et ce pour plusieurs raisons. Certaines sont historiques, d’autres institutionnelles. Il y a quelques années un professeur de HEC Montréal a fait une étude de la fiscalité municipale et a constaté que les municipalités de moins de  1 000 habitants imposaient un fardeau fiscal plus élevé que les autres municipalités. La dimension de l’assiette fiscale compte. La solution à ce problème est l’élargissement de l’assiette fiscale. Une municipalité peut réaliser cette alternative soit fusionnant avec d’autres municipalités soit en partageant les coûts des services avec plusieurs autres municipalités. Il s’agit là de voies de solutions politiques que le Village de North Hatley pourrait considérer.

Conclusion

Le soussigné est en faveur d’un développement durable et de la recherche de solutions prometteuses tant pour l’avenir économique, social et écologique du Village de North Hatley.

Aussi il reconnait que les investisseurs, y compris les promoteurs immobiliers peuvent contribuer énormément à un tel développement et à un tel avenir.

Mais connaissant suffisamment le monde des financiers, il sait que certains d’entre eux, pas tous heureusement, ont tendance à privilégier la recherche du profit maximal à court terme au dépend des  considérations sociales, économique à long terme et environnementales.

Aussi il appartient aux élus, à tous les niveaux de l’administration publique, de faire en sorte que ces considérations soient prises en compte dans leurs décisions. Ce qui signifie dans le présent cas, l’élimination des risques majeurs liés à la réalisation du projet en zone inondable tel qu’encadré par le Plan de gestion sous étude. En somme le Plan de gestion doit être modifié pour éliminer les risques majeurs.

Et j’ajouterai que, dans le cas du Village de North Hatley, une attention particulière devrait être accordée à la recherche d’un style architectural qui s’harmonise avec les  styles des maisons du Village de North Hatley. Car l’un des plus beaux villages du Québec ne peut se permettre une trop grande erreur de style.

Veuillez agréer, messieurs les ministres, l’expression de mes sentiments distingués.

René Doucet,

Professeur honoraire HEC Montréal

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3 thoughts on “Lettre de Prof. René Doucet aux ministres Heurtel et Coiteux”

  1. Salut,

    J’ai lu la lettre de monsieur René Doucet. Elle me semble complète et précise.

    Malheureusement, je ne sens pas avoir les habiletés pour écrire ce genre de lettre.

    Dominique cyr

  2. Je soutiens et je m’associe aux lettres de Paul St Pierre et René Doucet au ministre David Heurtel.

    Danielle Valcke

  3. Bonjour, j’essaie désespérément de me retrouver dans le projet de plan de gestion.

    J’ai l’impression qu’iles veulent bâtir dans la zone innondable 0-20 ans.

    Je propose, au plus vite, une rencontre d’information afin de vulgariser se projet.

    Pour que les citoyens et citoyennes prennet position, il faut comprendre de quoi on parle.

    Merci de votre attention.

    Dominique Cyr

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